i..A TRADUCTION DES POEMES:

L' EXEMPLE DU "ROMANCERO GITANO" DE FEDERICO GARCIA LORCA.

Michel Gauthier.

Professeur de Linguistique, Université René Descartes. Paris V

143. Avenue de Versailles . 75016 Pans

RÉSUME

La traduction des poemes n· est pas fidéle lorsqu' elle se contente du "mot a mot". La "transposition" dans la culture du lecteur s' engage sur la voie de la trahison . Les poémes obscurs qui cachen! leur

vérité pour diverses raisons (politique. pudeur...) doivent d' abord etre mis a jour dans leurs racines

culturelles. sociologiques, psychologiques. Ce n' est qu' ensuite que le traducteur peut essayer d' etre

a la fois fidéle au sens découvert, et, éventuellement . a Ja métrique de la culture cible.

RESUMEN

La traducción de poemas no es fiel cuando se lleva a cabo •·palabra a palabra· El lect or mezcla su cultura con el texto y traiciona así su sentido. En la traducción de poemas oscuros que. por diversas razones (políticas, pudorosas, etc.). esconden su sentido, deben, en principio, contextualizarse cultural. sociológica y psicológicamente . Posteriormente el traductor puede buscar la fidelidad al significado descubierto y a la métnca de Ja cultura blanco.

ABSTRACT

The poem traduction is not faithful when íls done "word by word". The reader mixes its culture with the text and betrays its sense. In the hazy poem traduction. which for different reasons (politcs. shyness, etc.) hide its sense. a cultural, sociologic and psicologic context has to take in account firstly . Later,

lhe translator should Jook for the fidelity wíth the discovery meaning and !he metrics of the target culture.


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L' année uníversitaire 1996-1997, les responsables des émissions "Sorbonne Radio­ France" ont retenu ma proposition d' émettre vingt conférences, en fran9ais . sur les poémes qui composent le "Romancero gitano" de Federico García Lorca. Les poémes de ce recueil sont accessibles au public fran9ais grace au premier volume de 1· édition de "La Pléiade" chez Gallimard. Claude Esteban a propasé, chez Aubier, une édition bilingue du "Romancero gitano", en espagnol sur les pages paires et en fran9ais sur les pages impaires. O' autres

traductions, bien sur. existent Par exemple, dans La poésie espagnole" , anthologie des origines a

nos jours, chez Seghers. L' auteur. Pierre Darmangeat a du faire un choix. pour présenter

Lorca; et, parmi les romances du "romancero gitano" il a choisi le premier du recueil ("romance de la luna. luna") et le quatriéme ("romance


sonámbulo"). Le nombre de syllabes qui représentent les vers du poéte est trés variable.

On trouve, enfin. non plus des traductions

completes. mais des citations. parfois traduítes, souvent de simples rétérences, a J' appuí de la

compréhension et de I' interprétation d' un commentateur qui inspire une certaine thématique. Le public visé est alors, évidemment, celui qui "lit" I' espagnol Le commentateur en profi e pour supposer que le meme public comprend les vers et les images qu' il cite. C' est cet abus que nous voulons dénoncer au¡ourd' hui: on peut étre franyais, comprendre les mots de Mallarmé et ne pas comprendre les poemes de Mallarmé.

Des ouvrages ont pu s' écrire. tan!a propos de Mallarmé (pour reprendre cet exemple) qu' a


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propos de Lorca. parcourant et regroupant , en en faisant une ample "cueillette", les thémes d' inspira1ion du poéte; mais ces ouvrages la isse nt désarmé le lecteur devant un seul poéme complet . Ainsi faisait J.L Flecniakoska en 1952 avec son "Unívers poétique de Federico García Lorca".

Le surréalisme a, malheureusement aussi, souvent "couvert" des "traductions" incompréhensíbles, laissant sous-entendre que "la

poésie, cela ne s' explique pas": certains allant meme jusqu' a traíter de sacrílége celui qui cherche a comprendre. et a donner du sens a ce

qui n' en a, apparemment. pas. L' obscurité n' est pas entiérement chez le poéte: Lorca lui-méme nous le confirme: "c' est nous qui sommes obscurs. qui n· avons pas les clartés suffisantes pour pénétrer son intelligence" (La imagen poética en Góngora).

Ces clartés dont parle Lorca, e' est la culture de Góngora que le lecteur devraít connaitre; et en ce qui conceme la poésie de Lorca, son obscurité, e' est parfoís notre méconna1ssance de certains

éléments quotidiens de la vie en ville ou a la

campagne en Espagne; et cette vie quotidienne. íl nous revíent de la découvrir: en lisant les autres ouvrages du poéte. en lisant ses contemporaíns . en lisant méme les revues et joumaux ... et en faisant des rapprochements, en émettant des hypothéses. Aprés les premiers découvreurs , qui ont eu le rnéríte de suggérer ce que pouvaíent etre les images du poéte étranger, doívent venir ceux qui en pénétrent les enracinements et les

sens. Cette seconde traduction pourra ne plus "coller" au pied de la lettre: son "infidélíté" a la

lettre sera, au contraire, conséquence de sa fídélité a la culture quotidienne et a 1' esprit du

texte.

Le lecteur qui cornprend les deux langues sans pour autant pénétrer le sens ou un passage d' un poéme donné de Lorca peut s' étonner d' une premiére différence concernant le vocabulaire: le

choix du traducteur est-ildu a de simples raisons

euphoniques ou métriques, ou bien correspond-il

a une compréhension. a une interprétation qu' il

ne se donne pas la peine de justifier? Ainsi. Ctaude Esteban a peut-etre raison. pour le lecteur fran9aís, de mettre dans un bol le lait que boit la petite gitane, parce que les lecteurs fran9ais boivent le laít dans un bol, alors que les espagnols boivent le laít dans un haut verre sans

pied (les verres a pied son réseNés a I' alcohol: ainsi le geniévre que le Consul anglais offre a la


méme jeune filie, et qu' elle ne boíl pas). Le traducteur a choisí. la, de favoriser son lecteur, en étant ínfidéle á la culture que contient son modele epagnol.

Ailleurs, le traducteur aura raíson de respecter le choix que fait le poéte d' utiliser deux verbes

opposés qui appartiennent a la méme catégorie

sensorielle (la vue): "les lanternes s' éteignirent et les gríllons s' allumérent" ; alors que la premiére réalíté (le référent) appartient bien au domaíne de la vue. J' autre expérience releve du domaíne auditif. Dans les deux textes, original et traduction , la premiére propositíon est de pure prose, la seconde est poétique par le choix du

verbe, ínadap1é a son substantíf sujet. mais

symétriquemen1 ínverse du verbe précédent. et qui suggére le verbe attendu: "se fírent entendre".

Mais il y a malheureusement des exemples ou le traducteur semble renoncer a mettre, comme précédemment, le sens (du sens?) a la portée du

lecteur: probablernent parce que lui:rnéme ne comprend pas I' allusion que cont1ennent les mots qu' íl traduít. 11 n' a eu d' autre ressource que de traduíre les mots qu' íl a sous les yeux; e' esl au

lecteur, qui n' a pas nécessairement une culture híspanique, de chercher a comprendre, alors

méme que son esprit est "dévoyé" par la traduction A1nsi:

San Miguel, rey de los globos y de los números nones...

qu' Esteban traduil:

Saint Michel, roí des ballons et des numéros 1mpairs...

Les auteurs de I' édítíon de "La Pléiade" commentent ainsí ce second vers: "Saint Míchel

passe pour donner chance a la loterie. ou les

numéros impairs sont préférés". Nous aímerions que cetle affirmation fOt confirmée par une

citation, une référence a ce détail culture! .. Les

espagnols n' achéleraient-ils done jamais de

billets de loterie a numéros pairs? Surtout. cette "explication" n' a rien a voír avec le reste du

poéme. dans lequel le poéte nous décrit un pélerinage que fréquenlenl particuliéremen\ les jeunes gens qui veulent renconlrer "I' ame soeur" et se marier. Aussi. I' évéque qui dít la messe s' adresse aux deux rangées séparées d' hommes et de femmes, comme cela se pratiquait autrefois dans les églises:

Rev Cs:;Jr oln. (M s- . t ) 'lo/ 3 N:¡m O( 1918)



El obispo de Manila

djce mis a con dos filas


Et I' évéque de Manille.


syntaxique. SiI' on prend le "romance sonámbulo" (Romance somnambule), nous nous heurtons dés

le premier vers a un double probleme, lexical, et

syntaxique:


dit la messe a deux rangées

para mujeres y hombres

pour les femmes et les hommes. (traduction André Belam1ch, "Pléiade").

Les numéros ímpairs sont tout simplement les individus isolés, qui ne revent que d' étre deux... et Saint Michel est le saint que I' on implore pour ce faire.

Restent ces fameux "ballons" ("globos". en espagnol). Qui ne sont probablement pas des

bailons, maís des "globes", c' est a dire des

cloches de verre comme celles sous lesquels les jardiniers mettent a I' abrí certaines plantes et fleurs, et a laquelle fait allusion Saint Exupéry

lorsque le Petit Prince se sépare de sa rose. Ces cloches. ou ces "globes", utilisés au siecle dernier, trónaíent dans !es ménages sur la cheminée de la chambre du couple, et avaient pour premiére mission de protéger de la poussiére la couronne de (fausses) fleurs d' oranger de I' épouse. Au fil des ans s· y ajoutaient des objets symboliques divers. Ces objets pouvaient également se voir dans des coffrets aux parois de verre. avec un toit

a deux pans comme des reliquaires, également

de verre . Le dictionnaíre de r Académie

espagnole, au mot "urna" définít ainsi cet objet : "récipient aux parois de verre plat permettant de conserver a I' abri de la poussiére des objets que 1· on peut voir, tels que des effigies et autres objets précieux". Ces deux sortes de contenants, globes et coffrets. s' appelaient, en France. des verrines.

Or, Lorca y fait allusion dans son texte "Albaicín": "Des rues ou vivent des gens a r esprit

conservateur, qui ont des salons avec de grands fauteuils, des tableaux ternis et des globes candides sous lesquels on voit des Enfants Jésus parmi des couronnes, des guirlandes et des diadémes de fleurs aux couleurs criardes". On

remarque que le traducteur propase, avec raison, le mol "globes" comme équivalent de ces coffrets que Lorca nomme "urnas"en prose. et "globos" dans son poéme.

L' Archange Saint Michel es1do ne bien le roi des verrines et des nombres impairs .

Les problémes de vocabulaire se compliquent souvent des problémes de construction


"Verde, que te quiero verde"

L' adjectif terminé par un -e a la meme forme au masculin et au féminin. s· il s· agit de 1·

adjectif, faut-il comprendre "verte", ou "vert"? Certains traducteurs, comme Belamich et Darmangeat, ont compris qu' il s' agit de la couleur verte (le substanlif "verde") : avec le

risque de connotation "couleur de I' espérance'', propre a la culture fran.;aise. D' autre part. le

verbe "querer'' est comprís. toujours par Belamích et par Darmangeat. comme le verbe aimer. qui traduísent:

Vert . tel que je t ' aime vert. (Darmangeat)

Vert. e' est toi que j' aime vert. (Belamích)

Esteban,de son coté, prend ce verbe dans le sens de vouloir,désirer, souhaiter :

Vert , et je te veux vert.

11 semble que cet auteur prenne lui aussi ce dernier mot comme adjec1if. Ce sera notre

traduction, a ceci pres que. pour nous. cet adjectif

doit etre mis au féminin:

e·est verte que je veux te voir.

Pour nous, le poéte jette I' anathéme a ta jeune femme qu' il nous mon1re aussitót aprés

attendant quelqu' un. une nuit, a son balcon. Ce n' est qu' a la fin du poéme que nous apprenons que

cet anathéme s· est réalisé, car elle s· est jetée

dans la Ctteme, a la surtace de laquelle elle flotte, VERTE, a cóté de la lune qui s· y refléte:

Sur la lace de la citerne se balanyail la gitane.

Verte chair. cheveux verts.

Et des yeux d' un argent froid .

Un gla.;on de lune

la soutient sur I' eau

(Darmangeat. Seghers) .

La couleur verte est done Ja couleur du cadavre... et de la mort. 11 faut se demander

pourquoi le poéte souhaitait tant de mal a cette

jeune femme. Le poeme nous le suggere . La


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jeune fille. riche grace a I' activité passée de contrebande qu' avait, jadis, déployée son pere. semble avoir exigé de son prétendant qu' il égalat ces exploils. ou du moins. qu' une fois il en connüt les risques. Le pére décide d' accompagner et de guider le jeune homme Mais, cette fois, I' expédition tourne mal. Le jeune homme est blessé griévement. peut-etre par des gitans rivaux. Les gardes civils suivent de pres les

deux fugitifs . e·est alors que le jeune homme s' adresse a celui qu· il voudrait considérer comme

son beau-pére et il luí dit ces quatre vers qui n' ont pas été compris de plusieurs traducteurs .

Compadre. quiero cambiar mi caballo por su casa ,

mi montura por su espejo, mi cuchillo por su manta.

Un premier probléme repose sur I' antécédent de I' adjectif possessif "su". 11 pourrait désigner le pére seul. auquel le jeune homme adresserait le "vous" dit : "de politesse". VOTRE MAISON. Ce peut-élre aussi le voussoiement pluriel, cornme

en fran is;la maison appartenant autant au pére qu' a la jeune filie. De toute maniere, le lecteur

comprend bien, ici. le sens général du vreu du jeune homme: il souhai1e la stabilité de la vie bourgeoise au lieu des aléas des chemins et des sentiers de la contrebande , que symbolise le cheval. Les deux vers suivants son1 plus délicats

a comprendre. Que vient faire ce miroir a la place

de la monture. déja désignée. d' ailleurs. ma1s par le rnot concret, au vers précédent? Quant au dernier mot du dernier de ces quatre vers, Belamich, et il n· est pas seul, comprend que le jeune gitan veut se mettre sur la téte le frchu avec lequel sa fiancée sort dans la rue!

Cornpagnon. je veux changer mon cheval pour sa maison, mon harnais pour son miroir

et mon poignard pour son voile.

(Pléiade, page 422)

Cet auteur a trouvé que le cheval et la monture étaíent la meme chose. et il offre en prime... au pére de sa francée, le harnais du cheval précédemment offert. On se demande

toujours. bien sur, ce qu' il veut faire de ce miroir. Quant au voile. reconnaissons á ce traducteur qu' il a le mérite de changer I' anlécédent du premier substantif. Nous comprenons en effet que te second vers désigne t a maison qui appartient princ1patement au pére. alors que le lroisiéme et


le quatrieme vers désignent des objets tiés de trés prés a ta personnalité, disons méme. a I' intimi1é

de la jeune f1lle. Voici cornment:

Cette "manta" n' es1 pas un fichu que les femmes posent sur leur tete; e' est une couverture, la couverture du lit dans lequel, s' il lui faut vraimen1mouJir. le jeune homme souhaiterait étre couché:

Compére, je voudrais mourir décemment. dans un lit a moi.

J' aímera is qu' il soi1 en acier, avec de beaux draps de Hollande

Ce lit. le jeune homme. s' íl ne I' a déja vu, du moins 11 en reve: c' est le lit de la jeune fille;plus exactement le lit de celle qu· il souhaiterait

épouser. e·est dans ce contexte d' épousailles

qu' il faut chercher le sens de ce miroir. Lorca lui­ méme. comme souvent , nous oriente vers I' explication d' un concept concentré dans un seul mol. Dans la piéce "La maison de Bernarda Alba",

I' a née des tilles va se marier. A I' acte 111, une voisine vient rendre visite a la veuve entourée de

ses cinq filies. On parle des cadeaux que la

fiancée a rer;;us: une bague avec des perles; et. comme mobilier, une armoire a glace. e·est un

détail importan!, car il marque la différence des générations: la mere de la jeune fille, en effet, commente: "Nosotras tuvimos arca" (De mon temps. on offrait une maie). L' un et I' autre

meuble servent a ranger du linge ou des draps: cependant la maie est une sorte de coffre a

couvercle horizontal, tandis que I' armoire a plusieurs portes verticales et surtout, une. au moins, a un miroir...

Comme on le voit, le Jeune hornme exprime au pére, par trois fois, de fa¡;:on de plus en plus pressante et de plus en plus précise, le désir d' entrer dans la ma1son. puis dans la chambre, puis dans le lit de la jeune tille:

Compagnon, si I' on échangeait? Mon cheva1 pour votre maison. ma rnonture pour son miroir.

pour mon couteau sa couverture ...

Ainsi, de tres nombreuses infidélítés dans le vocabulaire, et surtout la construction syntaxique défectueuse. trahissent I' incompréhension, chez le traducteur. des 1extes (ic1, des textes poétiques) qu' ir traduit. Encare faut-il reconnaitre que les traducteurs , comme nous I' avons déja remarqué. ont le mérite de devoir affronter chaque vers. et


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... . • \ .... ·- . .. ·- -. . . ... .. - . . . . .


chaque mot des textes qu' ils traduisent; on sait que les commentateurs ne commenlent que ce qu' ils veulent bien commenter, et généralement on a pu remarquer qu· ils s' abstiennent de commenter ce qu' ils ne comprennent pas... et que le lecteur ne comprendra pas. On pourrait s·

attendre a ce que des éditeurs espagnols , qui n·

ont pas le souci de traduire, fassent porter lous

leurs efforts sur I' explication des passages obscurs du poéte. Les auteurs de r édition "Cátedra'' gardent cependant. par exemple, le silence total sur les deux vers du romance numéro 11:

Las aceitunas aguardan la noche de Capricornio.

Esteban comprend que:

Les olives se concertent pour la nuit du Capricorne .

On ne voit pas tres bien quel complot peuvent préparer ces oléagineux, et I' on sail que la période d' hiver ou la constella1ion du Capricome est visible comporte plusieurs nuits: laquelle. alors. et pourquoi? Une conjuratio n du silence semble rendre indécente J' idée de se poser ces questions. Belamich considere que ces vers:

Les olives se préparent

a la nuit du Capricome

peuvent signifíer, d' aprés la commentatrice a

laquelle il se référe, "la nuit du Capricorne (qui)

peut fort bien étre la nuit de Noel pendant laquelle on les pressait". Mais aucun texte, aucun récit ne víennent conforter cette hypothese. Pourquoi travaíller la nuit? Aurait-on le temps de presser toutes les olives d' une récolte en une seute nuit? Et pourquoi la nuit de Noel. précisément? Encore une fois, nous nageons en pleine absurdíté ...

11 est vraí que les olives sont múres en hiver. et que la constellalion du Capricorne est dans le ciel entre le 22 décembre et le 21 janvier. Mais que viennent faíre ces olives au beau milíeu de ce récit qui nous montre un gítan qui se fait arréter pour vol de citrons alors que nous sommes en été?

11 faut reconnaítre que le hasard (y a+tl un hasard chez les chercheurs?) d' une lec1ure nous a donné la plus vraisemblable explication . On saíl que le grand peintre Salvador Oalí élait un ami du poéte. Trois ans apres la mort de Lorca, fuyant

' )


vers la France, en 1939. Dalí avait retenu un taxi. "Le plein d' essence fait . notre chauffeur nous dit: "Maintenant. vous m' excuserez , il faut que j' aille changer I' eau des olives avant de repartir" 11 disparut dans le café et revint en boutonnant sa braguette d' une main et en essuyant son menton

du revers de I' autre". Cette image trés populaire pouvait trés bien étre connue a la fois du peíntre

et du poete. Cette hypothése nous permet de situer a sa place dans le poéme cette... image.

Tout le premier poéme,"Prendimiento de Antoñito el Camborio en el camino de Sevilla" nous montre

le je une homme refusant de se battre contre les gardes civils qui veutent I' arreter pour une peccadille ... et surtout qui vont !ui faire manquer un spectacle auquel il lient beaucoup: une course de taureaux . Antoñito se laisse arréter. non qu' il soillache, ma1s parce qu' ilsait qu' il est le dernier rejeton de sa race et de sa ramille, et qu' il faut

qu' il ait une descendance . A I' époque ou les

olives seront et sont bien mures (CAPRICORNE).

c' eS1 LA NUIT DE NOCES qui commencera. par tui et grace a lui, le nouveau départ de sa race

Ses cousins de Benaméjí le savent bien. qui monteront. au poéme suivant, une expédition

pour le tuer. toujours avant qu' il ne se marie. Alors, Antonio qui n' a plus rien a espérer ni a

sauver se baltra .. comme un sanglier. comme un taureau. souple et rapide comme un dauphin, seul contre quatre hommes dans la force de I' áge El il mourra. comme un prince. comme un saint dans un poéme épique...

Nous sommes de plus en plus persuadés qu' il ne faut pas tra1ter a la légére un poéte comme

Lorca de poéte "surréalis1e": e' es! une appellation fausse. ma1s ce quí est plus grave. paresseuse. Nous terminerons par le probléme maieur posé par le plus long poéme de tout ce recueil: le "Romance de la guardia civil española".

Ce poéme est d' autant plus digne d' 1ntérét que. de fa9on quasi prémonitoire, 11 décrit la destruction par une troupe armée (ici, la Garde Civíle Espagnole) d' une petite bourgade comme le ful Oradour sur Glane en France en 1945. Or. le poéme de Lorca a été composé entre 1924 et 1927! On sait que le village fran< ais aurait été

"puni" pour avoir abrité des maquisards. En ce qui

concerne le village espagnol, méme si ce récit ne correspond a aucun fait réel. personne ne semble

s' étre inquiété du motif qu· aurait avancé le poéte pour nous décrire froidement . syst ématiquement , militairement , un tel crime. 11 ne s' agit pas de la petite équipe (la cuadr illa) qui arréte Antonio el



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Camborio sur le chemin de Séville pour vol de citrons: il ne s' agit pas non plus des représentants de 1· ordre qui accompagnent le

juge sur le terrain ou se sont entre-tués les hommes de deux famílles (Reyerta):il ne s· agit pas de représentants de I' ordre qui attendaient au bistrot du village (dans le "romance sonámbulo")

I' heure légale pour frapper a la porte de I' ancien

contrebandier afin de I' arréter avec le jeune homme blessé qui I' accompagne: ici, le village bouclé. les rues systématiquement parcourues. les maisons entiérement vidées · de !eurs habitants, les gens mitraillés et chassés vers I' église. tout cela est le contraire de 1· improvisation, et releve d' une décision "poli ique''.

Pourtant. les auteurs de I' édition "La Ptéiade", au moment le plus crucial ou les soldats entren! dans les maisons, surprenant les habitants attablés qui fétent cette ¡ournée des Rois. commentent de la sorte les quatre vers suívants:

Los relojes se pararon

Les horloges s' arretérent

y e l coñac de l as botellas

et le cognac des bouteilles

se disfrazó de noviembre

se maquilla en novembre

para no infundir sospec ha s

pour éloigner les soup9ons.

(Esteban).

"L' accent épique est si fortement marqué et maintenu tout au long du poéme que Lorca peut se permettre d' y faire éclater ces étincelles d' humour imprévu sans risquer de I' altérer" (p. 1425).

Le poete nous donne pourtant, dans le second vers et dans le dernier de cette ci1ation, des indices qui pourraient orienter le lecteur vers les motifs, les raisons de cette tuerie Comme on va le voir, il n' est pas du tout question d' humour. On sait que ce village "de gi1ans" es1situé non loin de Jérez de la Frontera, la ville dans laquelle se fabriquen\ les fameux vins et liqueurs de "'Xéres··. Tous les paysans des environs travaillent pour les vignobles et, selon les saisons. dans I' usine et les chais qui appartiennent au propriétaire Pedro Domecq, lequel, justement, est "appelé" par Larca, dans son poéme. pour défiler avec les figurants costumés en rois Mages et avec le couple qui représente la Sainte Vierge et Saint Joseph. lnterrogé sur cette présence insolite du

grand propriétaire terrien dans cette féte populaire. Larca "expliqua" a un membre de cette


illustre famille" qu· il ne savait pas trés bien pourquoi il I' y avai1 mis: mais il estimait que la vision familíére des étiquettes de cognac Domecq

dans les tetes "flamencas" donnait quelque titre au distillateur de Jérez a fígurer parmi ces images

gitanes".

Ce trés long poéme appartient au méme contexte de contrebande qui fonde les récits ou les altusions dont sont nourris d' autres poémes de ce méme recueil · trés explicitement le romance somnambule et le romance de I'

assigné: plus allusivement ( a la cóte et a la

plage) quelques autres: Preciosa, vers 7 et 13; La monja gitana. vers 19 a 22; le Romance de la

pena negra vers 16 a 19... e·est par la mer que

s' échappent les marchandises vendues ou échangées en contrebande, et le romance de la guardia civil española qui nous occupe. y fait une fugitive allusion:

¡Oh ciudad de Jos gitanos'

ó la bourgade des gitans!

¿Quién te vio y no te recuerda?

Qui jama is pourrait l' oublier?

Dejadla lejos del mar,

Laissez-la done loin de la mer

sin peines para sus crenchas.

sans peignes pour les chevelures.

Or. dans ce poéme de la guardia civíl española. les quatre vers que nous avons cités

tout a I' heure nQus suggérent, non quelque

humour de la part du poéte, mais une indication sur le motíf de cette tueríe: une expédition punitive, demandée aux responsables politiques de la région de Séville par le propriétaire de \' entreprise Pedro Oomecq, centre les employés qui détoument des bouteilles de cognac. 11 y avait de fortes chances pour que ces paysans célébrent

en t r e eux cette soirée festive dans leur vil\age,

avec des bouteilles votées. La premiére chose qu' ils font, en effet. lorsque la garde cívile est reconnue, c' est de cacher ces bouteilles. Et non

seulement de les cacher, mais de les remplacer par d' autres, contenant égaleme nt de la boisson, mais plus anodine. meilleur marché. plus populaire .

Lorca:

El coñac de las botellas se disfrazó de novíembre

para no infundir sospechas

t-;ov Ccfllrc / v { Me >} l' ol 3 Num 1( ( 1998}


Belamich:

et le cognac des bouteilles se camoufla en novembre pour que nul ne les suspecte

Esteban:

et le cognac des bouteilles se maquilla en novembre pour éloigner les soupyons

Le probleme se concentre done sur le second de ces trois vers: quelle boisson populaire peut évoquer le mois de novembre? La encore. c' est Lorca lui-méme qui nous apporte, indirectement. certes, la réponse. Toujours dans la piéce : "La

casa de Bernarda Alba", a I' acte 11, r une des

filles. Martirio, se plaint de la chaleur et d' exclame: "Je souhaite qu' arrive NOVEMBRE, les jours de pluie. LE GIVRE, (nous soulignons) tout ce qui n' est pas cet interminable été". Sur les lévres de I' actrice, et dans I' esprit du poéte, le nom du mois de novembre attire done I' image du givre. Or. il existe une boisson trés populaire d'

anis. qui se présentait en bouteilles a travers

lesquelles on voyait des tiges d' anís dressées

couvertes de sucre glace. Cet anís s' appelle "anis

escarchado" (anis givré). Une grosse bourgade était célebre pour sa fabrication de cette sorte d'

anís: la ville de Cazalla. en Andalousie, a

quelques soixante kilométres a I' est de Séville.

Les paysans qui ont volé des bouteilles de cognac dans la fabrique Pedro Oomecq les cachent done.

pour que les gendarmes ne retournent pas a

Séville avec ces preuves de leurs larcins; et ils les

remplacent par ces bouteilles d' anis g!vré si populaires dans toute I' Espagne.

En guise de confirmation de ces recoupements, Lorca lui-méme a imaginé la satisfaction de ces gendarmes au retour de leur mission destructrice: et il écrit: "Puis les

gendarmes rentrent a la caserne ou ils trinquent a

la mort des gitans en buvant de I' anis Cazalla (Pléiade, 1, page 1424).

Les quelques traductions que nous avons prises en exemples ont été certainemeni des reuvres de commande. proposées par des éditeurs qui imposaient des délais ne permettant pas toujours d' approtondir les recherches. et , en

tou: cas. de pennettre au hasard (et a I'

obstination!) d' en éclairer les obscurités. Certes,

cette premiére approche rend certainemenl serv ice a I' auteur.· et en particulier au poéte

lraduil; mais, a I' époque ou nous vivons. le

lecteur qui ne comprend pas ce que le traducteur

Q , ('fl,,.,tro Ir , "'r 'vo· 11-:Um 'G "/P91


luí propase, serait tenté de croire que ces poétes ont été des surréalistes laissant parler leur inconscient. et que n' importe qui peut ajouter les commentaires que lui dicte sa propre subjectivité.

Ni Lorca. ni Mallarmé. n' ont été des poétes laissant parler leur inconscient. Le traducteur avance, avec ces poétes, sur une corde raide; tandis que le commentateur se proméne tranquillement sur des échafaudages protégés par des rebords : il s' arréte sur les molifs qu' il comprend et qui 1· intéressent, et il passe rapidement devanl ce qu' il ne peut expliquer. Le traducteur pressé peut élre tenté de se contenter de tradu1re des mots, et non des sens: d' autant plus que ces sens sont souvent formulés en images. et en images au second ou au troisiéme degré, comme dans I' exemple que nous venons de voir, ou le mois de novernbre doit suggérer du

givre. lequel, a son tour. cache une boisson alcoholisée a I' anis. Pour ce faire. la traduction

devrait étre précédée d' une explication de texte, ou justiíiée par les références et les citations qu· exige I' explication de texte. Une traduction. pour

étre utile a I' auteur que I' on traduit. doit prendre

le risque de traduire au plus pres du sens -per9u grace a I' explication- et, risquer. souvent, de s'

éloigner des mots mémes (de leur traduction mol

a mot) qu' emploíe I' auteur

Traduction d' André Belamich . Cet auteur, ainsi que Claude Esteban proposent des heptasyllabes, vers rares en fran<;:ais , alors que les romances espagnols sont couramment écrits en octosyllabes.

J' ai expliqué plusieurs poemes de Mallarmé sur les memes ondes de Sorbonne Radio-France au cours de I' année unrversita1re 1994-1995 Editions Bíére.

El i ngl é s da a la gi tana

L' Anglais donne a la gitane

un vaso de t i b i a lecha

du lait tiéde dans un bol

y una copa de ginebra

et un verre de geniévre

que P r eciosa no se bebe .

que Précieuse ne boíl pas.

(Esteban. Romancero gitan. Poéme du chant protond. Aubier Domaine hispanique bilingue, pp. 38-39).

En France, aulour de la couronne de fleurs, les miroirs rectangles symbolisent les années de


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fianyailles; les miroirs en losanges représentent le nombre d' enfants souhaités; chaque grappe de raisins noirs represente un gar< on venu au monde. et le raisin blanc représente une filie: la feuille de chéne signifie la force et la longévité. le t illeul la fidélité; les guignes conjuren!le mauvais sort; chaque fleur en tissu doré représente un arpen! (5.000 m') de terre ... etc. (renseignements donnés par Mme Thiébault, au Manoir de Vacheresses, Nogent le Roi, Eure et Loir). On verra ci-dessous que cette meme culture (avec, sans doute. d' autres objets el d' autres symboles), est attestée par Lorca lui-meme.

"Ca lles en que viven gentes antiguas de espíritu, que tienen salas con grandes sillones, cuadros borrosos y urnas ingenuas con niños Jesús entre coronas. guirnaldas y arcos de flores de colonnes..." (Aguilar 1955, p. 1475, Impresiones y paisa¡es: Gra nada).

Flecniakoska traduit de la sorte:


hijo y nieto de Camborios ...

fils et petiHils de Camborios...

(trad. Esteban).

et bien plus encore les vers 29 a 38 du meme poéme:

Antonio , ¿Quién eres tú?

Antonio, qui es-tu done?

Si te llamaras Camborio

Si tu t' appelais Camborio

hubieras hecho una fuente

tu f erais une fonlaine (nous traduisons:tu aurais fait)

de sangre con cinco chorros .

de sang avec cinq ruisseaux. (nous traduisons: avec cinq "jets")

Ni tu er es hijo de nadie

Tu n' es le fils de personne

(nous soulignons)



"Compére, je veux changer

mon cheval contre votre maison ma monture contre votre miroir, mon couteau contre votre mante"


Ni legítimo camborío


Ni vrai Camborio (...) (traduction Esteban)


Faut-il comprendre que e·est le pére qui porte une mante (vetement de femme. ample et sans manches) dans la rue?

Cette "monture" n· est plus re cheval du vers précédent. Le héros du romance 6: "la casada infiel" se vante d' avoir "monté" toute la nuit ·une pouliche de nacre" ("montado en potra de nácar''). Notre gitan pourra1t bien faire le sennent, au pére

de ra jeune fille qu' 11 convoi1e. de renoncer a ces

aventures pour I' attachement au confort bourgeois que symbolisent la maison et les deux meubles suggérés.

Josette Blanquat: "Mithía et la Rome andalouse de Federico García Lorca", Revue de Littérature comparée, XXXVII , p. 338.

Salvador Dalí, La vie secrete de Salvador Dalí. éditions "La table ronde", p. 279 .

Les premiers vers du prerr.ier poéme de ce diptique insistent beaucoup sur la f iliation du gitan ·

Antonio Torres Heredi a,

Antonio Torres Heredia.


Están los viejos cuchillos

Sous leur couche de poussiére

tiritando bajo el polvo

frémissent les vieux couteaux. (traduction Belamich cf. Pléiade, p.1425) .

José María Peman. qui rapporte dans le

joumal madriléne ABC du 5 décembre 1948 cette questíon qu·il avait posée a Lorca. était membre

de la fam11le du d1sti\lateur Pedro Domecq. On comprend, d' aprés 1· hypothése que nous allons

présenter. que le poéte ait été quelque peu embarrassé pour répondre crairement a son

correspondan!.

Esteban,de meme que Belamich. attribuent I' adjectif possessif au village gitan. qui aurait une chevelure pour I' un, et, pour I' autre. des tresses. Le masculin pluriel "sus" peut comprendre.avec les hommes, res femmes. Le contenu sémantique de ce demier vers attire plutót I' attent ion sur les femmes, ici seulement suggérées dans le possessif.


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M A

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

1. ShirO Hattorí. The analysís ot Meaning. For Roman Jakobson. La Haye, Mouton,1956

2. Georges Mounin. Les problémes théoriques de la traduction. Gallimard, 1963.

3. Pierre Guira ud. La sémantique. Presses Universitaires de France, 1966.

4. Emile Benveniste. Problemes de linguístíque générale. 1 et 11, Gallimard 1966.

S. Roman Jakobson. Questío11s de poétíque

París Seuil. 1973.

6. Roland Barthes. L' aventure sémío/ogíque .

Paris. Seuil. 1985 .

7. Flecn1akoska. L' univers poetíque de Federico Garc/a Lorca. Biére. 1952.

8. Federico García Lorca Obras completas.

Madrid. Aguilar. 1955.

9. Darmangeat La poésie espagnole. Anthologíe des origines é) nos jours . Seghers, 1963.

10. Belamich. Couffon. Sésé. Federico García

Lorca , reuvres completes . Gallimard 1981.

11. Allen Josephs y Juan Caballero. Federico Garcla Lorca: Poema del cante Hondo

12. Romancero Gitano. Cátedra. Madrid. Ed Letras Hispánicas. 1992.

13. Claude Esteban. Federico García Lorca: Roman cero gitan. Aubier 1995.